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ReportageLuttes

L’Université d’été d’Attac sonne le regain des mobilisations

Deux mille personnes se sont retrouvées à Toulouse pour l’université européenne d’Attac. Dans une atmosphère studieuse et chaleureuse, ils ont préparé les mobilisations de la rentrée. Finance, migrations et écologie sont les trois thèmes dominants l’agenda européen des mouvements sociaux.

  • Toulouse (Haute-Garonne), reportage

Malgré la torpeur estivale, les allées de l’université Jean Jaurès de Toulouse fourmillent d’activités. Si les étudiants n’ont pas encore repris le chemin de la fac, c’est déjà la rentrée (de la lutte) des classes pour les altermondialistes d’Attac. Venus par centaines des quatre coins de la France et de l’Europe, ils ont tenu, du 23 au 27 août, leur université d’été.

Au programme, un foisonnement de forums, séminaires, ateliers et autres conférences gesticulées. Solidarité avec les migrants, précarisation du travail, alternatives monétaires, lutte contre l’expansion du trafic aérien. De quoi satisfaire tous les goûts militants. « Il y a peu d’événements de cette envergure, qui mélangent réflexion et action, et réunissent pendant quatre jours des militants du monde entier », se réjouit Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France. Plus de 2.000 personnes ont participé à cette université populaire, dont un quart d’internationaux, soit le double de ce qui était attendu. Reporterre était un des partenaires de cette université.

Résultat, des amphithéâtres transformés en sauna par l’effervescence humaine, du café en rupture de stock régulière, et des échanges à bâtons rompus en espagnol, anglais, allemand ou français. « L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, mais aussi de Donald Trump ou de Teresa May, qui incarnent l’opposé de nos valeurs, a montré la nécessité d’un discours et d’une opposition radicale, analyse Aurélie Trouvé. Les gens cherchent une autre voix, une autre mondialisation fondée sur la solidarité et la coopération entre les peuples. Et ils veulent des espaces de débat et de réflexion ouverts, où puissent s’exprimer différents points de vue. »

Comme lors de l’atelier consacré à l’état des gauches européennes, où l’insoumis Eric Coquerel et l’écologiste Yannick Jadot ont croisé le fer, l’un prônant la conquête de l’hégémonie et et l’autre la recherche du compromis. Ou encore lors du forum sur l’avenir du travail, où la taxe robot, le revenu de base et les effets pervers du bénévolat ont suscité des envolées verbales au sein de l’assemblée. « La finance, la question des migrations et l’écologie sont sans doute les trois thèmes principaux qui agitent le mouvement social européen en ce moment, observe la porte-parole. Mais nous avons été surpris de voir comment la question du travail a resurgi : les gens en France ont vraiment la volonté d’en découdre avec le gouvernement. »

Quatre jours plus tard, les débats ont permis la rédaction d’une feuille de route des mobilisations à venir. Contre la loi Travail le 30 août devant l’université d’été du Medef à Jouy-en-Josas, puis le 12 septembre dans les rues. Contre l’état d’urgence le 10 septembre, et contre le Ceta le 21 septembre. « Vous achetez une bonne paire de basket le 9 septembre, et vous ne la quittez plus de l’automne », résume Omar Slaouti en conclusion d’un forum. Sans oublier les mobilisations européennes contre les traités commerciaux, les multinationales, ou pour défendre le droit à l’avortement.

L’heure est donc à la mobilisation générale, malgré certains accents pessimistes, comme le discours de clôture de Geneviève Azam, d’Attac France : « Nous ne devons plus parler de crises mais d’effondrement. C’est la fin d’un monde, qui peut être dangereuse car les stratégies survivalistes peuvent être porteuses d’autoritarisme. A nous de construire non seulement des résistances, mais aussi des résiliences. »

Au sortir de cette Université d’été, les militants galvanisés sont cependant unanimes : « nous avons deux fois plus envie d’agir ! », sourit une jeune femme. « Le mouvement social est loin d’être atone, insiste Aurélie Trouvé. Il y a des fronts et des bagarres multiples, mais nous comptons sur la convergence des luttes, notamment au niveau européen, et sur le renouvellement des générations et des pratiques, que l’on voit s’opérer peu à peu. » Ainsi, à l’ombre des quelques pins qui parsèment la pelouse du campus, têtes grisonnantes et tignasses ébouriffées se côtoient et discutent dans un joyeux brouhaha multilingue.

Jaume : « Je ne veux plus de cette mondialisation uniquement commerciale »

Jaume : « Nous ne gagnerons que si nous apprenons les uns des autres. »

Quadragénaire à l’accent latino, Jaume rase les murs et les arbres en quête de fraîcheur. Il est venu de Barcelone avec sa vieille moto et sa tente, rejoignant une quinzaine de compagnons d’Attac Espagne.« En Catalogne, nous nous mobilisons beaucoup contre les traités de commerce, et pour la défense des services publics, raconte-t-il. Ici, nous pouvons rencontrer, échanger, partager des informations avec d’autres organisations qui suivent les mêmes luttes, cela donne des idées et nous renforce. » Lui a rejoint le mouvement altermondialiste après les mobilisations du 15M et des Indignés. « Je ne veux plus de cette mondialisation exclusivement commerciale et monétaire, qui détruit des vies humaines et l’écosystème. Mais nous ne gagnerons que si nous apprenons des uns des autres, de nos victoires et de nos erreurs. »

Françoise : « Se retrouver ensemble, dans la convivialité régénère »

Françoise : « Je suis surprise de la présence et de l’énergie de nombreux jeunes. »

Militante parisienne de longue date, Françoise coupe avec entrain des morceaux de pain frais. Également membre du Mouvement national des chômeurs et précaires, elle a participé à la création de la cantine bio à prix libre d’Attac.« L’idée était de proposer à tous et toutes une nourriture locale et de qualité, quelque soit vos moyens », explique-t-elle. Banco : tous les midis, la centaine de repas est engloutie en moins d’une heure. La cantine tourne grâce à l’enthousiasme des bénévoles qui épluchent, découpent, tartinent, mélangent tomates, couscous et fenouil. « Je suis surprise de la présence et de l’énergie de nombreux jeunes, notamment des Allemands, note Françoise. Il y a sans cesse du monde pour aider. » « Cette université, c’est un moment de convivialité, et ça fait du bien de se retrouver tous ensemble, pour échanger, débattre mais aussi faire la fête, poursuit-elle. C’est le moment le plus intense de toute l’année ! ».

Judith : « C’est important de créer des liens entre les militants de base »

Judith : « Se rendre compte qu’on n’est pas tout seul à lutter. »

La trentaine rayonnante, Judith incarne parfaitement cette nouvelle génération de militants, arrivés à Attac dans le sillon de la COP21. Outre-Rhin, l’organisation compte près de 30 000 adhérents, soit le triple du réseau français. « En Allemagne, notre force, ce sont les manifestations de masse, note Judith. Contre le Tafta ou le G20, nous pouvons être des milliers dans la rue. » A Toulouse, elle est venue former des réseaux, notamment sur la lutte contre l’extrême-droite et la xénophobie. « Nous espérons organiser l’an prochain une grande conférence sur le futur du processus européen, et sur la solidarité, explique-t-elle. Ici, j’ai pu discuter avec des Anglais sur le Brexit, nous avons échangé des idées et des stratégies de lutte. » Pour elle, la convergence européenne est encore très faible, et il lui paraît essentiel de « créer des liens entre les militants, pas seulement au niveau des cadres des organisations, mais aussi au niveau de la base. » Et puis, poursuit-elle, « c’est aussi important d’avoir un espace où rire et danser ensemble, pour se rendre compte qu’on n’est pas tout seul à lutter. »

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