Le sombre devenir des victimes du travail

par Clotilde de Gastines François Desriaux / 24 juillet 2017

Dans une enquête menée auprès de 5 000 de ses adhérents, la Fnath (Association des accidentés de la vie) montre que deux tiers de ceux-ci, victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ont été licenciés pour inaptitude.

Les employeurs n’y vont pas par quatre chemins avec leurs salariés lorsque ces derniers sont victimes d’un accident du travail ou contractent une maladie professionnelle. Près de deux victimes sur trois prennent alors la porte, et sont licenciées pour inaptitude médicale. C’est ce qui ressort d’une enquête par questionnaire menée par la Fnath (Association des accidentés de la vie) auprès de 5 000 personnes qui se sont rendues dans l’une de ses 1 000 permanences ces derniers mois. Près de 30 % d’entre elles sont des adhérents en activité, avec une surreprésentation du secteur privé ; 23 % sont en arrêt de travail et 23 % en recherche d’emploi. Enfin, le dernier quart représente des salariés en retraite ou près de la retraite, en foyer ou en invalidité.

Syndrome dépressif

Pour 55 % d’entre elles, ces personnes sont venues à la Fnath à la suite d’un accident du travail et 28 % à la suite d’une maladie professionnelle. Si l’on observe leurs problèmes de santé, 45 % des répondants à l’enquête ont un problème de dos (lumbago, sciatique, hernie…), 45 % souffrent de troubles musculo-squelettiques des membres supérieurs (épaule, coude, poignet) et 24 % d’un problème dépressif. Mais pour 17 % des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle, le syndrome dépressif vient s’ajouter aux autres problèmes de santé (c’est la raison pour laquelle la somme des pourcentages dépasse les 100 %). « Seuls » 6 % des répondants sont venus à la Fnath à la suite d’un cancer.

Près de 40 % sont encore jeunes (entre 46 ans et 56 ans) et la même proportion a plus de 56 ans.

A la suite de leur accident ou maladie, 67% n'ont pas repris d'activité professionnelle dans leur entreprise. Et seulement 10 % ont retrouvé un emploi dans une autre entreprise.

Des victimes ignorant leurs droits

Lors des entretiens, les militants de la Fnath ont constaté que les usagers ignoraient « la totalité ou une partie de leurs droits » et étaient donc « dans l'impossibilité de les faire respecter », écrivent les rédacteurs de l’enquête. « Ces chiffrent sont édifiants, déplore Arnaud de Broca, le secrétaire général de la Fnath. Certes, il y a des biais méthodologiques dans une enquête où les répondants ne sont pas tirés au sort, mais les résultats viennent conforter les informations qui émanent des caisses d’assurance maladie et qui montrent à quel point un accident du travail ou une maladie professionnelle conduit à l’exclusion du monde de l’entreprise. Alors que le gouvernement vient d’annoncer la révision du compte pénibilité et qu’il s’apprête à travers les ordonnances à réviser les dispositions concernant l’inaptitude au travail, nous entendons bien peser dans le débat », prévient M. de Broca.

 

LOIN DU COMPTE

Enfin, on en sait un peu plus sur le fonctionnement du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), en 2016, alors que le gouvernement a annoncé, début juillet, la réforme de ce dernier.

Au total, avec les dix facteurs de risque ouvrant droit, en 2016, à l’accès au C3P, 975 851 comptes pénibilité ont été ouverts, selon le bilan présenté, fin mai, au Fonds de financement du C3P, bilan que Santé & Travail a pu consulter. Le travail de nuit et le travail en équipes successives alternantes représentent à eux deux plus de 50 % des facteurs de risque à l’origine des entrées dans le dispositif. Les quatre facteurs de risque pour lesquels le gouvernement a décidé que l’exposition ne serait plus prise en compte mais qu’il faudrait désormais être atteint d’une maladie professionnelle reconnue, avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) supérieur à 10 % (manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques), représentent près de 30 % des entrées dans le dispositif.

Même si Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, a estimé que le nouveau compte prévention devrait permettre de faire partir 10 000 personnes en préretraite, dès la mise en œuvre du nouveau dispositif pour ces quatre facteurs de risque, on peut craindre qu’à terme le nombre de salariés bénéficiaires sera nettement moindre qu’avec le C3P. Par ailleurs, devant le Conseil d’orientation des conditions de travail réuni le 20 juillet au ministère du Travail, Mme Pénicaud a admis qu’avec ces 970 000 comptes pénibilité ouverts en 2016, on était loin des 3 millions attendus selon les estimations de la Caisse nationale d’assurance maladie. L’annonce de la réforme du C3P par plusieurs candidats à l’élection présidentielle et les menaces des instances patronales de ne pas transmettre les données d’expositions aux caisses n’ont pas incité les entreprises à déclarer leurs salariés exposés, ni les branches professionnelles à négocier les référentiels pénibilité. Seules 13 branches sur 650 l’ont fait.

A lire sur ce sujet l’enquête de notre partenaire Alternatives économiques et la tribune de François Desriaux dans Le Monde.

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