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Réforme du droit du travail : les syndicats coincés par la concertation

Loi travail, épisode 2dossier
Le gouvernement achève ses pourparlers avec les partenaires sociaux, alors que le projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances doit être voté jeudi au Sénat. Les désaccords sur le fond sont toujours aussi nombreux.
par Alexia Eychenne
publié le 26 juillet 2017 à 17h57
(mis à jour le 27 juillet 2017 à 16h48)

En lançant début juin sa réforme du droit du travail, le gouvernement se gargarisait d'inaugurer «48 réunions» de concertation, gage selon lui d'une démarche à l'écoute des partenaires sociaux. Tout, plutôt que reproduire le fiasco de la loi El Khomri et ses longs mois de contestation, faute d'avoir su déminer le terrain avec les syndicats. Jusqu'à jeudi, les leaders patronaux et syndicaux sont reçus à Matignon pour clore officiellement les débats. L'exécutif ne cache pas sa satisfaction. «Il y a eu un satisfecit global sur la méthode», assure l'entourage du Premier ministre, selon qui chaque camp a pu «comprendre les objectifs du gouvernement et s'exprimer».

Méthode Coué ? Les syndicats, en tout cas, ne font pas la même analyse. «Il y a bien eu une concertation, admet Véronique Descacq, numéro 2 de la CFDT, mais peu de décisions ont été prises. Le gouvernement fait-il le pari du renforcement du dialogue social ou de la dérégulation pure et simple ? On a du mal à savoir où il veut aller.» Si Muriel Pénicaud n'a cessé de vanter une «coconstruction» de la réforme, Fabrice Angéi, secrétaire confédéral de la CGT, corrige : «C'était une discussion, un échange. On n'a jamais eu de texte sous les yeux.» Au cours des séances, le directeur de cabinet de Pénicaud, Antoine Foucher, distillait à l'oral des pistes plus ou moins floues, décrivent les participants. A la sortie de la rue de Grenelle, il n'était d'ailleurs pas rare que les délégations syndicales assortissent leurs commentaires de formules prudentes – «il semble que» ; «si j'ai bien compris» –, retardant d'autant leur prise de position.

Des pistes «anxiogènes»

Sur le fond aussi, les désaccords perdurent. Concernant la place respective des accords de branche et d'entreprise, premier «bloc» de la réforme, Matignon assure que les syndicats n'ont finalement agité aucun «chiffon rouge». La CFDT pourrait se satisfaire du projet qui donne la part belle aux accords d'entreprise, à l'exception de quelques domaines réservés aux branches. FO aussi, car le gouvernement envisageait à l'origine une réforme plus radicale. La CGT et la CFE-CGC restent malgré tout très hostiles à la possibilité pour les branches de négocier les règles du CDD – une petite révolution – ou à celle donnée aux entreprises de décider des compléments de rémunération (13e mois, primes, avantages en nature…).

Les nouvelles règles du dialogue social dans les entreprises suscitent de vives inquiétudes, de l'aveu même de l'exécutif. Les syndicats appréhendent la fusion des instances représentatives du personnel (CE, CHSCT et délégué du personnel), mais aussi la possibilité pour les patrons de signer des accords sans présence syndicale. «Le ministère ne retient ni n'écarte aucune piste et c'est plutôt anxiogène», tranche Véronique Descacq. Autres options polémiques, le plafonnement des indemnités prud'homales, le référendum d'entreprise ou la refonte des PSE restent également sur la table. Sur tous ces sujets, le ministère du Travail s'est bien gardé d'avancer des éléments précis qui permettraient aux syndicats de fixer leurs «lignes rouges». Un patron pourra-t-il soumettre un accord au vote des salariés sans validation des syndicats ? Combien de postes une entreprise pourra-t-elle supprimer sans déclencher de plan social ? Mystère.

Rendez-vous le 21 août

C'est aussi pour cela que la plupart des syndicats ont gardé leurs critiques en sourdine. Seule la CGT a pris date pour une journée de grève et de manifestation le 12 septembre. «On est piégé par la méthode», regrette Gilles Lecuelle, de la CFE-CGC, persuadé que «quand on aura les ordonnances, on va voir l'ampleur du désastre», mais qu'il était délicat de crier au loup trop tôt. L'ampleur de la réforme dépendra des arbitrages finaux et de leurs subtilités techniques. Or, les syndicats n'ont pour l'heure aucun texte définitif sur lequel faire plancher leurs juristes.

En ce sens, la méthode du gouvernement est une réussite. Un «sans-faute» même, soutient l'association de professionnels de RH Entreprise & Personnel, pourtant critique sur le fond, dans une récente note d'analyse. Le think tank rappelle que rouvrir le chantier de la réforme du droit du travail alors que les plaies de la loi El Khomri n'étaient pas refermées était «une gageure». Parmi les facteurs de succès – de cette première étape du moins : une répartition des rôles assumée – «le politique pilote» – une équipe à l'expertise reconnue par les syndicats (Muriel Pénicaud, mais aussi son directeur de cabinet venu du Medef) et des pistes dévoilées au compte-gouttes pour «garder en haleine les partenaires».

Le suspens devrait se prolonger jusqu'à la semaine du 21 août. Les partenaires sociaux seront alors à nouveau convoqués au ministère du Travail pour un ultime cycle de rencontres sur le détail des réformes. Mais la rédaction des ordonnances sera alors sur le point de s'achever. La marge de manœuvre s'annonce très mince. Les syndicats craignent d'ailleurs que le gouvernement ne leur distribue un document écrit qu'une semaine plus tard, au moment de la transmission des ordonnances au Conseil d'Etat et à diverses instances de consultation. Comme pour retarder, une nouvelle fois, le moment d'abattre son jeu.

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