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Billet de blog 3 juin 2018

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Interdiction de la manifestation du 2 juin : le dossier

Ce 2 juin la manifestation a bien eu lieu. Le matin un arrêté du préfet de police avait été notifié portant sur l'interdiction d'une grande partie du parcours. En attendant un bilan collectif de la mobilisation voici les pièces du dossier parce que la signification politique de cette interdiction devrait être analysée sérieusement par toutes les composantes du mouvement social.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ci-dessous :

- Le déroulé des faits sur l'interdiction

- Les considérants de l'arrêté d'interdiction

- Le texte du recours au Tribunal Administratif

- Les considérants du rejet du recours)

La manifestation contre la loi asile immigration appelée par 14 collectifs de sans-papiers et soutenue par près de 90 collectifs, associations, syndicats et organisations a bien eu lieu ce samedi 2 juin. Elle a rassemblé, une nouvelle fois depuis celle du 17 mars et du 7 avril, des milliers de manifestantEs.

Alors que de nouvelles échéances sont déjà prévues et annoncées, les premiers bilans seront tirés collectivement et rendus publiquement pour continuer le combat.

Dans ces bilans un élément devra occuper une place, élément qui devrait préoccuper l’ensemble du mouvement. Car un des événements qui a marqué cette manifestation est l’interdiction, notifiée aux organisateurs à 10H le matin même de la manifestation.

Outre le rôle joué par cette interdiction sur le déroulé de la manifestation elle-même, nous disons que cette interdiction n’avait aucune raison administrative et qu’aucun des prétextes officiels ne tiennent. Sa signification est donc d’ordre politique. C’est ce que l’ensemble du mouvement devrait analyser. Et relier à d’autres évolutions actuelles.

C’est donc pour démonter les prétextes donnés à l’interdiction et nourrir les réflexions que nous joignons ci-dessous les pièces du dossier avec le déroulement des faits.

En effet, alors que le parcours de la manifestation avait été déposé plus d’un mois à l’avance, la préfecture de police a attendu la veille de la manifestation pour décider d’interdire une partie du parcours.

Dans un premier temps, le mercredi précédant la manifestation, elle a allégué qu’elle ne connaissait pas l’ampleur prise par la mobilisation. Cela l’a amené à suspendre toute discussion.

Puis, la veille de la manifestation elle a soudainement prétendu détenir des informations selon lesquelles des groupes prendraient la tête de la manifestation pour commettre des dégradations sur des biens et des personnes. Sur ordre direct du préfet elle a lors annoncé qu’il n’y avait aucune négociation possible sur le parcours, refusé toute possibilité de trajet alternatif et annoncé qu’un arrêté portant interdiction du parcours serait notifié le samedi matin.

Les représentantEs mandatéEs pour les rencontres avec la préfecture n’ont à aucun moment porté de jugement sur les formes utilisées au sein du mouvement. Ils/elles ont par contre affirmé :

  • Qu’il était manifestement contradictoire de prétendre le mercredi ne rien savoir à un tel point sur la mobilisation prévue pour prétendre le vendredi détenir des informations aussi précises que les intentions de tel ou tel groupe de manifestantEs
  • Qu’un tel niveau d’information était clairement contradictoire avec une connaissance précise et générale du mouvement qui fait que toutes ses composantes quelles qu’elles soient respectent et ont toujours respecté les modalités des manifestations organisées par les collectifs de sans-papiers qui, pour des raisons évidentes de sécurité de leurs membres évitent toute initiative de confrontation directe avec les forces de répression et tout ce qui pourrait la justifier (« dégradations »)
  • La manifestation du 2 juin l’a encore démontré comme nous l’avions prévu et annoncé. Y compris lorsque la tête du cortège, pour montrer qu’elle ne pliait pas est allée, en rangs serrés et derrière ses banderoles jusqu’au dispositif policier interdisant le parcours prévu, cela ne s’est traduit par aucune violence physique.

Pour information nous avons informé toutes les composantes participant à la manifestation des intentions décidées par les collectifs de sans-papiers à savoir que la tête de la manifestation irait jusqu’à Bastille et qu’à Bastille elle défierait l’interdiction en allant jusqu’aux grilles fermant le parcours malgré les craintes légitimes que peut inspire un tel défi pour des manifestantEs pour qui le risque encouru par une arrestation ou même un simple contrôle est la rétention et l’expulsion.

Ne désirant pas porter de jugement sur les modalités de lutte des unEs et des autres il a seulement été demandé  toutes les composantes de la manifestation d’assurer que tout le monde respecte jusqu’au bout les modalités déterminées par les collectifs de sans-papiers et assure que, la manifestation ne pouvant aller à son terme pour des raisons qui ne dépendaient aucunement des collectifs de sans-papiers, aucune initiative différente de celle des sans-papiers ne serait éventuellement prise avant que ceux-ci ne puissent évacuer la place de la Bastille sans courir le moindre risque d’interpellation.

Comme nous l’avions prévu cela a été respecté par tous et toutes. Les manifestantEs ont même pu occuper la place de la Bastille pour écouter les prises de paroles de plusieurs collectifs de sans-papiers et d'associations, les témoignages de mineurs isolés étrangers et les annonces de prochaines échéances contre les violences policières et contre la loi asile-immigration et la politique anti-migratoire.

Nous ne faisons que noter, par ailleurs, que des confrontations directes avec la police auraient sans doute suscité beaucoup plus d’intérêt de la part des médias dominants que la démonstration de l’unité et de la détermination de milliers de manifestantEs derrière les collectifs de sans-papiers.

Tout cela nous conduit donc à affirmer que la décision, dont tout démontre qu’elle a été prise directement par le ministère de l’intérieur, n’a d’autre but que :

  • D’intimider encore une fois les manifestantEs et en premier lieu les sans-papiers et migrantEs
  • D’accroître encore l’entreprise générale de déshumanisation et d’invisibilisation des migrantEs
  • De légitimer encore plus, aux yeux de l’opinion, le fait que c’est le pouvoir qui détermine qui, et selon quelles modalités, peut manifester et le contester. Ce qui est la marque d’un régime de plus en plus autoritaire et d’un Etat de plus en plus policier.
  • De diviser et d’affaiblir le mouvement, banalisant le fait qu’il suffit au pouvoir d’invoquer des risques d’affrontement pour faire accepter à certaines de ses composantes des entraves à la liberté de s’exprimer, de manifester et de circuler.
  • De créer les conditions, généralement, pour que des affrontements avec la police se produisent dans les termes les plus favorables à la police et à l’Etat

Cela devrait donc amener l’ensemble des composantes du mouvement social à se positionner sérieusement et se mobiliser sur ces questions.

Déroulé des faits :

29 avril : manifestation du 2 juin et parcours déposés par CSP 75 pour régularisation de tous les sans-papiers et contre loi asile immigration

Entre le 29 avril (notamment 1er mai – 5000 tracts, 5 mai – 10 000 tracts, 22 mai – 8000 tracts, 26 mai – 13 000 tracts) diffusion publique de l’événement (mis en ligne sur le site public d’agenda des manifestations démosphère dès le 9 mai).

La préfecture est donc largement informée sur la manifestation et l’ampleur de la mobilisation dès le début du mois de mai.

La première liste de signataires (14 collectifs de sans-papiers et d’abord 70 organisations différentes est publiée le 23 mai sur le site Médiapart).

La jonction avec la manifestation avec Clément Méric est décidée, revendiquée politiquement et annoncée publiquement

Sans la moindre prise de contact antérieur pour informer les organisateurs de difficultés sur le parcours déposé, la préfecture les convoque le mercredi 30 mai pour signature.

Notre délégation est composée de représentantEs de CSP 75, CSP Paris 20, Union syndicale Solidaires, CNT, LCD, ZSP 18, NPA.

Cette réunion se déroule en deux temps.

Dans un premier temps le fonctionnaire présent annonce deux difficultés sur le parcours.

Le premier porte sur le départ place de la République en raison d’un événement organisé par la Mairie de Paris qui empêche tout rassemblement sur cette place. Tout en protestant sur le fait que le départ à République a été annoncé depuis un mois et que la préfecture aurait pu nous en avertir avant nous arrivons à un accord sur la constitution du cortège au départ du boulevard du Temple avec jonction avec la manifestation Clément arrivant par l’avenue de la République.

Le second est le boulevard Henri IV après Bastille qui est à contre sens et exige donc un blocage en amont de la circulation. Nous maintenons cette demande sachant que cela a déjà été possible pour d’autres manifestations.

Le fonctionnaire décide d’une première interruption de la réunion pour se concerter avec son supérieur.

C’est alors son supérieur qui se présente et nous déclare abruptement qu’il lui est impossible de négocier quoi que ce soit à ce stade en nous informant :

  • Qu’il réalise seulement l’ampleur de la manifestation
  • Qu’il est absolument impossible de partir de République
  • Qu’il sera totalement impossible de perturber la circulation à tel point dans Paris un samedi après-midi

Puis il nous indique que, de toute manière, il n’a pas possibilité de négocier quoi que ce soit et qu’il doit « consulter ». Et qu’une nouvelle rencontre sera convoquée.

La seconde réunion a lieu le vendredi à 16H, c’est-à-dire à la veille de la manifestation. Les organisateurs de la manifestation pour Clément qui devaient signer le jeudi ont vu leur convocation repoussée au vendredi à 17H. Le centre de toutes les négociations est donc la manifestation contre la loi asile-immigration.

Nous pensons alors que la préfecture va nous proposer un trajet alternatif. Le mandat donné aux représentantEs pour la manifestation contre la loi asile-immigration est d’accepter un parcours qui ne passerait pas par Bastille (et donc par le boulevard Henri IV) mais irait plus directement vers le Sénat à condition :

  • Du départ garanti à République
  • De la jonction garantie avec la manifestation pour Clément
  • D’un parcours utilisant de grandes artères.

C’est cette fois le directeur adjoint et chef d’état major Eric Belleut, en ligne directe avec le préfet qui nous reçoit.

Il nous indique que sur ordre du préfet il n’y a aucune négociation possible, que le parcours de la manifestation sera limité à République-Bastille et interdit au-delà et qu’il n’y aura aucune possibilité d’aller au Sénat. Il nous indique que cette décision a été prise en raison d’informations, bien sûr confidentielles, sur les intentions de groupes Black Bloc de prendre la tête de la manifestation. Malgré notre dénonciation de prétextes injustifiables et notre proposition de deux parcours alternatifs (au départ il nous est indiqué que la ligne rouge est la Seine) l’un allant à Concorde (vers l’Elysée) et l’autre à Madeleine (vers le ministère de l’intérieur), il nous est indiqué finalement que rien n’est possible, que tout sera interdit et que l’arrêté du préfet nous sera notifié au plus tard le lendemain matin.

Reçue dans la foulée la délégation pour la manifestation pour Clément obtient autorisation sur son parcours.

Le samedi nous sommes convoqués à 10H pour notification de l’arrêté d’interdiction.

A 11H00 nous déposons un recours au Tribunal Administratif en nous rendant sur place (cf ci-dessous). On nous annonce que nous serons convoqués pour l’audience qui doit bien sûr se tenir avant la manifestation (donc avant 14H). Deux personnes (CSP 75 et soutien) restent sur place.

Les deux camarades sont informés à 14H10 (c’est-à-dire après le départ de la manifestation) que l’audience a eu lieu en huis-clos (!) et que le recours a été rejeté.

Considérants de l’arrêté d’interdiction (signé par le préfet Michel Delpuech) :

« Considérant que les dispositions de l’article L 121-1 du code général des collectivités territoriales, soumettant au respect d’une procédure contradictoire préalable les décisions administratives individuelles qui restreignent l’exercice des libertés publiques, ou de manière générale, constituent une mesure de police, ne sont pas applicables en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles […]

Considérant que le rassemblement déclaré par les représentants du collectif des sans-papiers pour le samedi 2 juin afin de réclamer « la régularisation de tous les sans-papiers » qui s’inscrira dans un contexte de fortes tensions sociales, a changé de nature et de dimension en devenant le réceptacle d’un mouvement plus large de contestation de la loi dite « asile-immigration » rassemblant de nombreux groupes et organisations, dont la plupart doivent participer à la manifestation qui, organisée à l’initiative de la mouvance antifasciste à l’occasion du 5è anniversaire de la mort de Clément Méric, doit se tenir le matin même avec une arrivée prévue à 14H place de la République ;

Considérant que ce changement modifie de façon substantielle les conditions d’exercice du maintien de l’ordre public, notamment du dispositif à prévoir pour garantir le bon déroulement et la sécurité de la manifestation, notamment en raison de la constitution probable d’un black-bloc en tête de cortège ;

Considérant que dans ce contexte les organisateurs de la manifestation élargie ont été informés que la partie de l’itinéraire de la manifestation déclarée située après la place de la Bastille […] ne pouvait être empruntée par le cortège en raison des risques importants pour la sécurité des personnes et des biens dans un secteur, celui du Quartier Latin, connaissant une forte affluence, notamment touristique, le samedi après-midi, ce qui rendrait particulièrement compliquée, périlleuse et dangereuse l’intervention des forces de maintien de l’ordre en cas de troubles à l’ordre public ; […]

Considérant, en outre, que la prégnance de la menace terroriste continue à mobiliser à une niveau élevé, les forces de sécurité intérieure pour garantir la protection des personnes et des biens contre les risques d’attentats ;

Texte de recours au Tribunal Administratif (« référé liberté » rédigé en urgence sur place) :

Considérant,

  • Que le parcours de la manifestation du 2 juin a été déposé au nom des collectifs organisateurs dès le 29 avril à la préfecture de police de Paris
  • Que ce dépôt mentionnait dès l’origine le retrait de la loi asile immigration
  • Qu’il a été formulé dans des formes comparables pour les manifestations du 17 mars et du 7 avril qui ont été autorisées par la préfecture et n’ont donné lieu à aucun « troubles à l’ordre public » ou « dégradations »
  • Que la manifestation antifasciste, ce jour, est autorisée
  • Que le terme « Black bloc » ne recouvre aucune signification juridique ou administrative et que le seul cortège de tête de la manifestation du 2 juin sera constitués par les collectifs de sans-papiers,

Nous considérons que les arguments utilisés pour justifier l’interdiction ne reposent sur aucune preuve ni arguments fondés,

Nous considérons que, dans ces conditions, cet arrêté porte gravement atteinte au droit constitutionnel à manifester.

En conséquence nous vous demandons d’annuler l’arrêté portant interdiction de la manifestation de ce jour à partir de Bastille jusqu’au Sénat.

Fait à Paris le 2 juin à 11H00,

Considérant du Tribunal Administration pour rejeter le recours :

Considérant […] que l’arrêté en litige pris le 1er juin 2018 par le préfet de police n’interdit pas la manifestation prévue le 2 juin 2018 à compter de 12H mais se brone à en limiter le parcours à un itinéraire compris entre la place de la République et la place de la Bastille ; qu’en soutenant pour établir l’atteinte grave et manifestement ilégale alléguée, que les précédentes manifestations n’auraient pas donné lieu à des troubles à l’ordre public, les requérants ne contestent pas utilement les motifs de l’arrêté préfectoral liés à la nécessité de prévenir les risques d’atteinte à la sécurité des biens et des personnes et aux difficultés de l’intervention des forces de l’ordre dans un secteur à forte affluence touristique le samedi après-midi…

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