Loi du plein emploi ou loi du travail forcé ?

Dissipons tout de suite un malentendu. La loi pour le « plein emploi » ne signifie pas que le gouvernement entend faire disparaître le chômage.

Il joue en réalité sur les mots. Et compte bien que l’on retienne que le gouvernement aurait vaincu le chômage. Mais sa loi a surtout pour ambition de lutter contre les chômeurs et chômeuses. Et au passage exploiter les personnes en situation de handicap. Déjà pour le gouvernement, la réalité du chômage c’est un chiffre en pourcentage de la catégorie des travailleurs et des travailleuses qui n’auront pas travaillé du tout lors de la période de référence (le mois généralement). Les chômeurs et chômeuses à temps partiel, les millions de précaires n’existent en fait pas à ses yeux. Le plein emploi, c’est pour le gouvernement un taux de chômage qu’il considère comme « acceptable » à savoir 5 %. Il appelle ça le chômage « naturel » contre lequel on ne peut plus lutter. Voire même que c’est bon pour le système. Le chômage est, il est vrai, utile à tout gouvernement capitaliste : il permet de faire pression sur le reste des travailleurs et travailleuses pour que ceux et celles-ci modèrent leurs revendications sociales. Voire mieux les oublient.

La loi « plein emploi » ne lutte donc pas contre le chômage mais contre les chômeurs et chômeuses dont le nombre est jugé trop élevé.

Pourtant le gouvernement se refuse à mettre en œuvre des politiques permettant de créer plusieurs millions d’emplois. Enfin officiellement. Car officieusement en contradiction avec ses convictions libérales, il subventionne largement l’apprentissage (et continue en 2024), abaissant ainsi le chômage des plus jeunes. Quant au reste des 3 millions de chômeurs et chômeuses, il suffit selon Macron de traverser la rue pour trouver du travail. C’est donc qu’ils et elles ne veulent pas travailler et qu’il faut les « désinciter » à la paresse. Sur ce point Macron n’aura pas innové car c’est la même rengaine libérale qui nous est servie depuis des décennies. Et toujours aussi inefficace... Macron aura juste poussé encore plus sur l’accélérateur. Après sa réforme de 2019, il réduit début 2023 d’un quart la durée de versement des allocations aux nouveaux-elles chômeurs-euses sous prétexte que le taux officiel de chômage aurait baissé. A l’automne de la même année, il concocte avec la droite (et les voix de l’extrême droite) une réforme du service public de l’emploi avec la loi « plein emploi ». La philosophie générale du projet ? Contrôle des chômeurs et chômeuses, obligation d’occuper n’importe quel emploi à n’importe quelle condition, radiation.

Un réseau pour l’emploi ou contre les chômeurs et chômeuses ?

La loi regroupe sous un même réseau dit « pour l’emploi » les 3 opérateurs déjà existants. Les missions locales qui s’occupent des publics jeunes, Cap Emploi pour les personnes en situation de handicap et enfin Pole Emploi qui deviendra France Travail au 1er janvier 2024. Le but affiché est d’« accompagner » les publics concernés et notamment ceux considérés les plus éloignés vers l’emploi. Sauf qu’il n’y a au mieux que quelques centaines de milliers d’offres non pourvues pour l’essentiel en raison de salaires, horaires et conditions de travail très dégradées… pour dix fois plus de chômeuers-euses. Et c’est sans compter les 60 % des allocataires du RSA qui devront (y compris leurs conjoint-es) s’inscrire à Pole Emploi (soit au moins un million de personnes supplémentaires) ! Le but recherché ? Radier un maximum de personnes, d’où l’accent mis sur les contrôles et leurs procédures qui seront autant de pièges tendus aux chômeurs et chômeuses dont il faut rappeler que moins de la moitié est actuellement indemnisée. Toutes et tous devront signer un contrat d’engagement précisant les « objectifs d'insertion sociale et professionnelle".

S’agissant des allocataires RSA (et les chômeur·euses nécessitant un accompagnement),

la loi a prévu que sous peine de perdre leur allocation (sans rien prévoir à la place), ils et elles devront accomplir 15 heures d’activité…. Qui est un plancher minimum ! Des exceptions sont prévues s’agissant des personnes handicapées, ayant des problèmes de santé ou avec la contrainte de la garde d’enfant.

Pour autant la loi n’a pas défini ce que recouvraient ces activités et le gouvernement est sans cesse resté vague sur la question, l’idée étant de rapprocher de l’emploi. Rapprocher… comme ce que peuvent proposer des départements qui expérimentent actuellement le dispositif, des formations « en immersion dans l’entreprise ». D’autant que dans sa réserve d’interprétation le Conseil Constitutionnel a fait mention à son sujet que la durée d’activité devra être adaptée à la situation personnelle et familiale de l’intéressé-e [...], sans pouvoir excéder la durée légale du travail en cas d’activité salariée ! A la grande joie du patronat qui voit ainsi la possibilité de remplacer des salarié-es statutaires d’autant qu’il n’y a pas de fourchette horaire maximale. Ce qui signifie la possibilité d’employer un allocataire au RSA pendant 35 heures tout cela sans avoir un seul sou à débourser, c’est en effet le département donc la collectivité qui paie ! Le salariat gratuit, le rêve patronal sans même avoir à délocaliser son activité : merci Macron !

Et si l’allocataire du RSA ne respecte pas ses « engagements » signés (par contrat comme si les allocataires étaient en situation de pouvoir négocier quoi que ce soit), les sanctions peuvent aller jusqu’à sa suppression. C’est donc revenir sur l’un des traits fondamentaux du dispositif qui est une allocation inconditionnelle. Et contrairement aux antiennes de la droite (et de l’extrême), le RSA n’est pas cette allocation qui permettrait de vivre aux crochets de la société : on ne saurait en effet vivre décemment avec 607 € par personne par mois et en 2022 près du tiers des personnes qui pourtant y ont droit ne l’on pas réclamé !

Travailleurs et travailleuses en situation de handicap : vers une inclusion… dans la précarité

Alors que la loi s’enorgueillit de faciliter leur emploi dans les entreprises ordinaires, le tableau ne paraît guère idyllique. Bien au contraire, c’est la précarité qui est en ligne de mire ! Sans compter que les questions essentielles de transport, d’adaptation du poste et de logement adapté PMR ne sont absolument pas abordées ne figurent pas dans la loi. Par l’entérinement des deux expérimentations « CDD Tremplin » et d’« Entreprise de Travail Temporaire - EATT», c’est la précarité qui est promise aux travailleurs et travailleuses en situation de handicap. Leur suivi ne sera par ailleurs plus assuré par les maisons départementales des personnes handicapées mais par Cap Emploi/France Travail : l’accent est mis, c’est l’emploi la priorité et donc la mise en concurrence avec l’ensemble des travailleurs-euses dont les personnes en situation de handicap ont toutes les chances de faire les frais.

Quant à celles en ESAT, le rapprochement du statut salarié (sans pour autant que leur contrat soit un contrat de travail) leur permettra certes de bénéficier du droit de grève mais pour autant leurs rémunérations resteront pour la plupart en dessous du SMIC. On est bien loin des progrès annoncés ! Pour plus de détails, voir notre communication spécifique sur le sujet : https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/communiques/loi-plein-emploi-et-handicap-vers-une-exclusion-aggravee-bien-loin-dune-societe-inclusive/

Accueil des jeunes enfants en crèche

Quant au volet traitant de l’accueil des jeunes enfants en crèche, l’accent est évidemment mis sur la nécessité de rendre leurs parents toujours plus employables selon les besoins du patronat et du capital. Nous sommes ici loin d’un véritable service public de la petite enfance avec des moyens et un personnel titulaire suffisant. Juste que cela sera de la compétence des communes. A moyens constants on peut imaginer. Rien ne change.

Comme toutes les lois d’affichage destinées à faire croire à l’action (et à la réussite) du gouvernement en matière économique et sociale, la loi « plein emploi » est comme son nom l’indique une loi idéologique qui ne répond pas aux enjeux. Comme les réalités (et notamment du chômage et de la prise en charge du handicap) sont têtues, le gouvernement tente de les tordre. Tout en oubliant pas de répondre aux antiennes de la droite. Pour développer l’emploi et une société réellement inclusive, il faut pour l’Union syndicale Solidaires des politiques de réduction du temps de travail, d’embauches dans les services publics et dans les secteurs écologiques, d’augmentation des salaires ! Créons le rapport de force pour les obtenir !